
C’est un film marquant et singulier dans l’histoire du cinéma tunisien. « El Ers » (La Noce) a été réalisé en 1978 dans une période de création, de paris et de défis pour le cinéma tunisien des années soixante et soixante dix. Ce film a été réalisé avec des moyens rudimentaires par le Collectif du Nouveau Théâtre formé par : Jalila Baccar, Mohamed Driss, Habib Masrouki, Fadhel Jaïbi et Fadhel Jaziri.
Cette œuvre est programmée à cette 36è édition des JCC dans la section : « Films restaurés ». Comment et pourquoi voir ou revoir un tel film aujourd’hui ?
C’est tout d’abord une copie qui a été sauvée de disparition et qui revient sur les écrans. C’est ensuite une occasion qui offre aux nouvelles générations du public des cinéphiles de découvrir le travail de ce collectif venu adapter au cinéma leur propre pièce de théâtre du même titre. La pièce est elle-même adaptée de : « La noce chez les petits bourgeois » de l’auteur allemand Bertolt Brecht. Serait-ce pour immortaliser cette pièce par le truchement du travail cinématographique que la pièce « El Ers » (La Noce) est devenue un film ?
C’est du moins un détail contre l’oubli qui menace les créations artistiques en général et sous nos cieux. Les membres du Nouveau Théâtre venaient proposer un nouveau regard dans la conception et la réalisation d’un film, mais aussi avec un cinéma qui rompt avec les normes classiques et conventionnelles de création et de narration. Ce sont l’image, le décor et les dialogues qui priment.
D’autre part, « La Noce » est le premier film du Nouveau Théâtre qui prouve que ses membres croient au travail d’équipe marqué par l’entente et le talent de chacun de ses membres. Leur démarche cinématographique allait aboutir à d’autres adaptations de pièces pour le cinéma, comme « Arab » ou « Ghasselet enoueder » pour la télévision, ou encore : « Jounoun » au cinéma.
En revoyant ce film, c’est un maillon d’une chaîne qui constitue l’histoire du cinéma tunisien qui s’offre à notre regard. Nous ne sommes pas seulement surpris par ce travail autant que nous nous y attachons. Les effets de contraste entre les couleurs et les lumières blanche et noire et les plans d’ensemble ou rapprochés nous rapportent fidèlement et nous plongent dans l’atmosphère suffocante dans laquelle se déroule cette histoire. Cette dernière se passe dans un terrible huis clos, dans un même lieu où se passent les faits.
« La Noce » traduit l’absurdité de la vie. Elle est une tragi-comédie qui reste différente de tous les autres films tunisiens qui l’ont précédé, ou qui sont venus après. Le film a été tourné en noir et blanc et en 16mm. Le Collectif du Nouveau Théâtre a pu grâce au talent de ses membres et particulièrement le réalisateur et chef opérateur Habib Masrouki aboutir à un niveau de haute tenue.
Les faits se passent durant une nuit pluvieuse. Après le dîner de célébration du septième jour de leur mariage, un couple de la petite bourgeoisie tunisoise se retrouve seul où l’amère réalité de leur relation, plutôt conflictuelle, éclate. Cette réalité ne tardera pas à être mise à nu. Le lieu où ils se trouvent semble annoncer l’implosion, voire l’arrivée d’une scène de ménage. Tout ne semble tenir qu’à un fil dans une vieille maison délabrée et qui menace ruine dans la Médina de Tunis. L’eau de la pluie tombe par gouttes successives d’un toit qui laisse infiltrer l’eau. Un sceau en fer accueille des gouttes d’eau lancinantes et irritantes. Le décor est désolant : il ne va pas de pair avec l’esprit de fête qui devrait régner. C’est dans une chambre sale que se déplacent les deux personnages Sarra et Fatah incarnés par Jalila Baccar et Mohamed Driss. Ils jouent des rôles de composition là où des restes de nourriture, une assiette et un verre sont devenus des cendriers de fortune sur une table ressemblant à une poubelle.
Ce décor insolite et inattendu va en parallèle avec l’état des corps des deux personnages livrés à eux-mêmes. Ils vont découvrir et étaler crescendo leurs haines réciproques dans un affrontement verbal où leurs mensonges, leurs malentendus et leur mépris vont être étalés. Les promesses mielleuses n’étaient que de purs mensonges de la part du mari. Ce dernier porte une minerve au cou. Lui-même se trouve dans un état de santé désastreux et pas du tout enviable avec un accoutrement clownesque.
De quelle noce sommes-nous en présence ? L’envers du décor est dans un piteux état. Et de quelle petite bourgeoisie parle-t-on ? C’est le côté misérable qui crie sa présence et une noce insensée qui a lieu. Les nouveaux mariés sont dans leur état pur, sans fioritures, ni maquillage. Leur état est désolant avec une querelle qui dégénère. Les voix montent et le mari feigne de mettre son épouse à la porte. Il devient arrogant et les langues du couple deviennent de plus en plus corrosives.
