Comme aujourd’hui 24 janvier de l’année 1872 Albert Samama Chikli (1872 – 1934) est né.
Cet artiste tunisien est issu d’une famille juive de vieille souche de Tunis. Grand voyageur, curieux et féru d’inventions scientifiques, il ramène avec lui, à chaque retour de voyage, des savoir-faire techniques conjugués au goût de l’expérimentation : la bicyclette, la radio, les rayons X et surtout le cinématographe des Frères Lumière.
Ainsi, Samama Chikli devint un des pionniers du cinéma mondial. Il est l’un des premiers du continent africain et du monde arabe à expérimenter cette invention des Frères Lumière, à la fois caméra et appareil de projection. Dans les premiers temps, en 1896, il projette simultanément, à Tunis, Sfax et Sousse, leurs « Vues » prises ailleurs.
En plus de La sortie des usines lumière, Le régiment qui passe et surtout L’arrivée d’un train en gare de Ciotat, il projette ses propres vues et reportages de l’époque : son célèbre Pêche au thon, L’Eclipse un des plus curieux films sur le sujet et aussi Catastrophe de Messine, une des plus sensationnelles vues de ce tremblement de terre. Il tourne aussi en Libye, en Italie, au Maroc, en Belgique, et à Paris.
Samama Chikli part aussi en reportage dans le grand sud tunisien. Sur sa carte visite, il se présente comme LE CHOUFF’O’GRAPHE CHIKLI, à travers la Tunisie (« Choufographe », celui qui porte un regard assumé). Dans ses nombreux reportages sur la vie quotidienne de ses compatriotes, il montre souvent des visages souriants et fiers d’accomplir des gestes quotidiens.
Après la guerre, Chikly rentre à Tunis et réalise les premiers films de fiction tunisiens, Zohra en 1922, et Ain el-Ghezal (La Fille de Carthage) en 1924, à une époque où le cinéma africain en général était presque inexistant. Les deux films mettaient en vedette sa fille Haydée Tamzali, première scénariste, première monteuse et première actrice de cinéma qui a continué à jouer dans des films tunisiens jusque dans les années 1990.
Il a pu ainsi et grâce à son point de vue endogène et grâce à ses sujets audacieux et ses procédés narratifs inédits, transgresser l’image coloniale répandue au point de transformer la création cinématographique en Tunisie.
Aujourd’hui, grâce à la découverte du fond archivistique de Samama Chikli par la Cinémathèque de Bologne, ses images, lues avec de nouvelles « lunettes », permettent de révéler de nouvelles données. On sait aujourd’hui qu’il a fait plus de 100 films. Ils sont courts, mais datent de l’avant-première guerre mondiale et représentent un apport important sur le plan international.
Nous pouvons aussi affirmer que le cinéma à cette époque n’était pas seulement celui des frères lumières ou de Charles Pathé et que l’apport des opérateurs locaux était primordial.
Les films de Samama ont pu être identifiés et sauvés de l’anonymat car il a collaboré avec de grandes maisons. Dans le cas échéant, ses films auraient pu être montrés puis jetés.
Ceci participe à la réécriture de l’histoire du cinéma africain et arabe.
Mes références :
– Corriou, Morgan (dir.). Publics et spectacle cinématographique en situation coloniale, Tunis, IRMC : CÉRÈS (Cahiers du CERES hors série, n° 5), 2012, 320 p.
– Khlifi, Omar. Histoire du cinéma en Tunisie. Société tunisienne de diffusion, Tunis, 1970, 239p.
– Lewinsky, Mariann. Albert Samama Chikli, éditions Cineteca Bologna, Bologna, 2023, 370p.
– Mansour, Guillemette. Samama Chikly : un tunisien à la rencontre du XXème siècle. Simpact Editions, 2000, 270p.
Vous pouvez découvrir son histoire et parcours en regardant trois courts-documentaires :
– Albert Samama Chikli, ce merveilleux fou filmant avec ses drôles de machines (1996) de Mahmoud Ben Mahmoud
– À La Recherche du Premier Film Tunisien (2012 ?) de Kamel Chérif
– Principauté de Chikli (2022) de Khaled Azek